Le bateau :
un moyen adapté à l'humanitaire

Le maritime dans l’humanitaire est souvent considéré du strict point de vue logistique; certes ce rôle est essentiel mais trop réducteur. Il doit être reconsidéré autant du point de vue du moyen  que du point de vue des besoins.

Du point de vue du moyen : comment intégrer au mieux le bateau dans l’action humanitaire ?

Du point de vue du besoin : les zones littorales sont des lieux sensibles et nous constatons chaque jour que cette sensibilité s’accroît en raison des mouvements de population vers la côte (développement économique côtier, immigration clandestine, populations refoulées…).

Parallèlement à cette concentration,  les risques humanitaires augmentent sur la zone littorale, qu’ils soient le fait de catastrophes naturelles (tsunamis, cyclones, désertification…) ou d’origine humaine (pollution, conflits). L’évolution du climat et ses conséquences sur certaines zones littorales risquent d’aggraver la situation.

Pour ces raisons le monde maritime et le monde humanitaire, qui se connaissent mal, devraient se mobiliser pour réfléchir ensemble aux évolutions possibles.

Un bateau, quel qu’il soit, n’est pas seulement un  moyen de transport.
Un bateau c’est une infrastructure qui fonctionne, même modeste; le passage régulier dans les villages d’un bateau avec son équipage compétent accompagné souvent de médecins autochtones permet d’établir une relation de compréhension qui va bien au-delà du service : c’est un lien qui permet de réaliser peu à peu des projets et de faire que les choses fonctionnent et progressent.

A plus grande échelle, un bateau c’est la possibilité de réaliser des actions hautement spécialisées nécessitant des compétences multiples et de les projeter rapidement sur le terrain.
Un bateau c’est également une aventure commune et solidaire qui parle aux gens de la côte et plus généralement à ceux qui aiment la mer. C’est donc un moyen particulièrement adapté à des actions en conditions difficiles (catastrophes, conflits).
On le voit ainsi, un bateau est un espace mobile de gens compétents et solidaires, susceptible de se projeter  en de multiples points d’une zone littorale tout en gardant un certain retrait. Vu ainsi, il constitue un vecteur idéal de l’action humanitaire.

Ses inconvénients sont bien sûr une certaine lenteur en cas d’urgence et son coût. Peu d’OSI (Organisation de Solidarité Internationale) françaises semblent avoir adopté ce système de base embarquée. Dans la suite de l’article je donne quelques exemples concrets pour les différents types d’action humanitaire par bateau; j’ai choisi la plupart des exemples à partir de quelques expériences de  l’OSI Marins Sans Frontières dont je fais partie. Cette association a été créée en 1984 et a pour vocation de porter assistance aux populations isolées par la mer ou par une voie navigable.

Actions d’urgence

Tsunamis, cyclones, inondations, les zones côtières sont régulièrement agressées par les éléments; le changement climatique avec la montée du niveau des mers, le renforcement de l’activité cyclonique et la désertification liée à la diminution des pluies touchera de nombreuses régions. Les pays les plus touchés sont conscients de cette montée des risques côtiers et certains d’entre eux comme Madagascar tentent dès à présent d’élaborer des plans d’action pour les populations isolées en cas de cyclone, dont les effets liés aux vents, aux pluies, à la mer et aux crues des fleuves peuvent être catastrophiques, mais les moyens manquent. Des pays comme le Bangladesh verront des zones de plus en plus vastes régulièrement inondées avec les problèmes d’insalubrité et de pollution des nappes phréatiques.

L’action humanitaire liée à ces catastrophes est double : une action d’urgence pour sauver des vies et approvisionner les victimes et une action de développement pour reconstruire rapidement ce qui a été détruit.

Pour les actions d’urgence avec des catastrophes de grande ampleur comme le tsunami du 26 décembre 2004, la communauté internationale a déclenché une opération militaire. Cette opération a démontré l’importance du maritime puisque 100 navires ont été mobilisés. La question reste ouverte pour des catastrophes moins dévastatrices car les moyens militaires internationaux ne sont alors pas mis en œuvre et le soutien militaire de certains pays peut prendre un caractère de « diplomatie médicale ». Pour ces cas  il serait peut être utile de disposer d’un minimum de moyens maritimes « neutres » dans les zones à risque. Il semble prévu de doter l’ONU d’un navire-hôpital « l’humanité I », mais  il faudrait sans doute doubler cet équipement important d’une capacité de projection s’appuyant sur des unités régionales plus petites, rapidement mobilisables et non institutionnelles. L’action de reconstruction doit être rapide et compétente.

A la suite du tsunami de 2004 l’association Marins Sans Frontières, avec ses contacts du milieu maritime en France et en Thaïlande, s’est investie dans la reconstruction de bateaux de pêche.

A l’aide des fonds qu’elle a pu récolter, essentiellement de la part de la Fondation de France, du Ministère des Affaires Etrangères et du Comité National des Pêches Maritimes et de ceux que son correspondant a récoltés de son coté en Asie, un petit chantier naval a pu être activé à Bang-Ben. Quatre-vingt-neuf bateaux de 10 à 12 mètres ont été construits en bois selon les méthodes traditionnelles et équipés d’un moteur hors-bord de type « long tail » que les pêcheurs préfèrent. Outre l’achat des matériaux, trois charpentiers de marine français ont été dépêchés sur place par l’association pour la coordination et pour prêter main forte aux artisans locaux et leur faire apporter toutes les améliorations jugées nécessaires afin de rendre leurs bateaux plus sûrs et plus performants. L’action commencée en août 2005 a été terminée en octobre 2006.

Pour l’urgence en période de conflit un bateau  est un moyen adapté au soutien des camps de réfugiés souvent agglutinés le long de la côte ou des cours d’eau. Les navires-hôpitaux  militaires étrangers ne sont pas toujours les bienvenus dans ces circonstances.

L’association Marins Sans Frontières a acquis cette expérience pendant  la guerre civile du Mozambique de 1988 à 1992. Elle est intervenue avec un bateau de 350 tonnes, le Listaos, pour soutenir sanitairement les camps de réfugiés puis pour participer au rapatriement des populations déplacées.

Entre 1993 et 1997, toujours au Mozambique, elle a développé un programme d’appui logistique et technique d’une part aux districts côtiers de la province de Cabo Delgado en faisant construire un bateau d’assistance sanitaire, le Vila Da Ibo, et en réhabilitant 8 maternités et centres de santé détruits au cours de la guerre, d’autre part sur le lac Cahora Bassa avec la mise en service de deux bateaux dans le cadre d’un programme de transport et d’assistance aux services de santé mozambicains.

Comme je l’ai dit plus haut, un bateau constitue une présence et des compétences qui permettent de réaliser peu à peu des projets et de faire que les choses progressent.

C’est aussi une plate-forme permettant de transporter des personnels et des matériels spécialisés. Ce concept de développement par voie maritime est surtout utilisé quand l’action présente un caractère médical.

A très grande échelle on peut citer l’association suisse Mercy Ships qui possède au moins deux navires-hôpitaux de gros tonnage (2.000T et 16.000T). Le principe de son action est de visiter régulièrement (1 à 3 ans) différents pays en voie de développement avec l’un de ses navires et des équipes composées de bénévoles. Les projets de développement soutenus par cette association font l’objet de mise au point lors de ces passages.

Il existe aussi plusieurs associations spécifiquement médicales qui ont des équipes de médecins bénévoles embarquées et qui effectuent régulièrement des dessertes fluviales, ce qui permet d’atteindre des populations nomades vivant au rythme du fleuve. C’est ainsi que Marins Sans Frontières entreprend une coopération à deux projets médicaux fluviaux, l’un sur le canal des Pangalanes à Madagascar (association Ar Mada) et l’autre  sur le delta intérieur du Niger au Mali (association Médecins du Fleuve). Citons également l’association Ophtalmission qui arme un navire typique khmer équipé d’un centre ophtalmologique médico-chirurgical qui œuvrera au Cambodge.

Dans le cadre d’une action de développement global d’une région, Marins  Sans Frontières exploite un ancien chaland de port de la Marine Nationale, le Zarga, pour assurer le désenclavement de la presqu’île d’Ampasindava au Nord-Ouest de Madagascar, presqu’île de 20000 habitants totalement isolée du fait de l’absence de routes et dont le seul moyen d’accès est la mer, et pour permettre aux Services de Santé du district de pouvoir intervenir de manière régulière ou inopinée si le besoin s’en fait sentir (épidémies). Conformément aux lois en vigueur et compte tenu du fait que le bateau navigue dans les eaux territoriales malgaches le Zarga est armé avec un équipage malgache et porte le pavillon malgache.

Indépendamment de sa mission humanitaire sur la presqu’île d’Ampasindava, réalisée avec les médecins et les associations malgaches, le Zarga assure une desserte régulière entre Ankify et Hell-ville (Nosy Be), transportant passagers, véhicules et fret. Cette activité commerciale, outre le service rendu, permet l’autonomie financière et la pérennité du projet.

Cette présence, depuis 2001, est doublée par le soutien de petits projets d’amélioration des centres de soin et des écoles : nous avons pu constater par nous-mêmes une amélioration progressive de la situation de ces villages.

Conclusion

Le bateau est un moyen puissant pour l’humanitaire, il peut répondre à de nombreux besoins des zones littorales et fluviales. Nous pensons que les besoins de ces zones vont croître en raison des évolutions humaines et climatiques.

Mais, en contrepartie de ses qualités, un bateau est complexe pour une OSI : il faut définir le bateau approprié, il faut trouver ce bateau à un coût raisonnable, il faut ensuite le gérer. Cela passe à la fois par des études souvent longues et des investissements relativement lourds, ce qui pose donc la question des moyens humains et des moyens financiers.

Moyens humains : le contrôle des missions en cours, notamment pour tout ce qui touche à l’exploitation et à l’entretien des bateaux ainsi qu’à la recherche de bateaux adaptés, nécessite pour l’association de pouvoir s’appuyer sur des personnes bénévoles qualifiées susceptibles de consacrer 1 ou 2 mois par an pour se rendre sur les lieux de mission et de projets.

Moyens financiers : si les frais de fonctionnement du siège restent modestes du fait du bénévolat des personnes qui gèrent l’association par contre les déplacements des bénévoles qui étudient sur place les projets, les achats ou constructions des bateaux nécessaires à chacun des projets et enfin la participation de l’association aux frais d’exploitation de ces bateaux sont sources d’importantes dépenses.

Marins sans Frontières est une petite association et ne peut donc répondre à la multiplicité des besoins, surtout ceux d’une certaine ampleur. En dehors de subventions tout à fait exceptionnelles comme cela a été le cas pour le tsunami l’association ne compte essentiellement que sur les dons de ses adhérents qui restent relativement limités.

Le recrutement de nouveaux adhérents et de sponsors tentés par les actions qu’elle mène ne pourrait que renforcer son potentiel.

Ces considérations particulières mises à part, il me semble qu’il faudrait d’abord faire un bilan des besoins esquissés dans cet article, pour valider le développement du maritime dans l’humanitaire. Ce bilan puis ce développement passent par une rencontre entre les OSI et le monde maritime.

Daniel Guével – IGA (2S)
Administrateur de Marins Sans Frontières